Dijon lance son projet smart city, aussi ambitieux que risqué
La métropole inaugure son hyperviseur capable de piloter l’équipement urbain de 24 communes. Un projet à 105 millions d’euros à la rentabilité contestée et qui repose beaucoup sur un consortium de grands groupes.
La première brique technologique est posée. Mis en service le 1er avril, l’hyperviseur de Dijon Métropole est officiellement inauguré ce 11 avril. De quoi s’agit-il ? D’un poste de commandement unique regroupant en un seul lieu cinq domaines de supervision autrefois cloisonnés : police, vidéosurveillance, sécurité, circulation et neige. Cet hyperviseur est la brique principale d’OnDijon, le plus important chantier smart city lancé en France, avec 105 millions d’euros d’investissements et de maintenance sur douze ans. 24 communes sont concernées.
Ce lieu de gestion centralisée est censé favoriser la collaboration entre différentes équipes de la métropole et aider leur prise de décision en leur présentant les informations de manière synthétique. L’hyperviseur permettra par exemple à la police de mieux dispatcher ses agents grâce à une carte recensant l’emplacement des équipes, dont les véhicules sont désormais géolocalisés. Mais le plus gros changement concerne la supervision des missions de gestion de l’espace public et de maintenance des équipements. Son exploitation a été confiée à un consortium privé composé de Bouygues Energie et Services, Citelum (filiale d’EDF), Suez et Capgemini. Sur un même écran de contrôle, les équipes auront une vision cartographique de l’ensemble des équipements urbains (bornes électriques, carrefours à feux, caméras, éclairage public…). Chaque appareil dispose de sa propre fiche détaillant ses caractéristiques et l’historique des interventions reçues.
Remontées automatisées
Des interventions qui doivent d’ailleurs gagner en efficacité. En cas d’incident, comme le signalement d’un équipement défectueux, les opérateurs de l’hyperviseur ont accès à 200 fiches de procédures adaptées à la plupart des situations détaillant les actions à mener. Si le problème est urgent, le système, doté d’un moteur de règles, remontera automatiquement l’information aux opérateurs dans l’hyperviseur avec le numéro de la personne d’astreinte à contacter. Si l’intervention peut attendre, une tâche viendra s’ajouter au planning des équipes de maintenance, qui seront notifiées via une déclinaison mobile de l’hyperviseur sur leur smartphones. « Jusqu’ici, nous devions appeler les équipes pour vérifier où elles se trouvaient. Désormais, elles seront géolocalisées, ce qui permettra de les envoyer sur des missions proches et d’adapter leur planning au long de la journée », explique un responsable chez Dijon Métropole.
Il sera également possible d’actionner à distance certains équipements. Par exemple abaisser une borne d’accès aux zones piétonnes, diminuer l’intensité d’un lampadaire, déplacer l’angle de vue d’une caméra, ou encore modifier les feux. Le tout couplé à des données de trafic issues de boucles magnétiques de comptage (capteurs sur la route) et d’analyses vidéo.
Eclairage et parking intelligents
D’autres briques du projet arriveront plus tard. Notamment l’application citoyenne, grâce à laquelle les administrés effectueront des signalements géolocalisés agrémentés d’une photo. Dijon attend d’abord de généraliser cet été l’usage des smartphones chez les équipes de maintenance (une centaine d’agents sont équipés aujourd’hui) afin qu’elles soient prêtes à recevoir des demandes d’intervention beaucoup plus fréquentes. Un premier cas d’usage du stationnement intelligent devrait voir le jour d’ici la fin de l’année : des capteurs placés sur les places de livraison remonteront automatiquement des arrêts anormalement longs à la police, qui pourra ensuite s’assurer qu’elles ne sont pas utilisées à mauvais escient.
Autre chantier : l’éclairage intelligent. Censé permettre 65% d’économies d’énergie d’ici la fin du contrat, il sera progressivement installé durant ces douze ans. 34 000 lampadaires, soit la quasi-totalité des luminaires de la ville, passeront en LED. Un millier d’entre eux sera opérationnel à la fin de l’année.
Interrogées par le JDN ces derniers mois au sujet d’OnDijon, la plupart des grandes villes françaises se sont montrées sceptiques
Si le projet de Dijon est le premier en France d’une telle envergure, il n’est pas garanti qu’il fasse office de modèle pour le reste du pays. Interrogés par le JDN ces derniers mois au sujet d’OnDijon, la plupart des responsables des stratégies smart city des grandes villes françaises se sont montrés sceptiques. Parmi les griefs, le montant du contrat, 105 millions d’euros, et la difficulté d’assurer un retour sur investissement, alors que les membres du consortium choisi par Dijon réalisent eux-aussi pour la première fois un projet à cette échelle.
La métropole assure avoir posé des conditions très strictes à ce sujet. « Il s’agit d’un contrat à la performance dans lequel les entreprises se sont engagées sur des critères précis de qualité et de fiabilité. Il prévoit de lourdes pénalités financières en cas de manquements ». Le réseau informatique doit par exemple assurer une disponibilité de 99,9%, tandis que les interventions d’urgence doivent être effectuées en moins d’une heure.
Autre sujet d’inquiétude, la longueur de ce contrat. Comment être sûr que les technologies utilisées aujourd’hui ne seront pas obsolètes demain, alors que des technologies dont on ne soupçonne pas encore l’existence pourraient émerger ? Dijon met à nouveau en avant son contrat à la performance, qui incitera les entreprises à se doter des meilleures technologies pour tenir leurs objectifs.
Piège à données ?
Ces douze années passées chez les mêmes prestataires posent aussi la question de l’interopérabilité et de la portabilité d’un système dont certaines briques ont été développées spécialement pour Dijon. Car au bout de douze ans, un nouvel appel d’offre devra être organisé, et si la métropole décide de changer de prestataire, elle devra alors migrer toute son infrastructure et ses données vers un système différent. « Il ne s’agit pas d’une délégation de service public« , rappelle Dijon. « Nous sommes maîtres d’ouvrage, donc propriétaires de toutes les données ainsi que du hardware et avons privilégié les logiciels ouverts ». L’hyperviseur fourni par Capgemini ainsi que la plateforme de gestion des équipements Muse de Citelum sont pourtant des systèmes propriétaires, mais la métropole assure qu’il sera facile de changer de logiciel puisqu’elle a la main sur ses données.
« Nous sommes propriétaires de toutes les données ainsi que du hardware et avons privilégié les logiciels ouverts »
Alors que les grandes villes françaises tentent de gagner en indépendance technologique en améliorant leurs compétences techniques, les critiques du projet pointent aussi le risque pour Dijon de ne plus comprendre ce que font ses prestataires. « Les équipements urbains sont déjà des marchés délégués avec des technologies complexes et qui évoluent vite », justifie la métropole, qui assure cependant disposer d’équipes en interne ainsi que d’auditeurs externes capables d’apporter un deuxième regard.
Modèle ou non, Dijon pourrait en tout cas faire des émules. La métropole a été approchée par plusieurs villes de taille moyenne qui aimeraient reproduire son organisation. « Il faut être capable de travailler de manière transversale avec l’ensemble des directions métiers, ce qui convient davantage aux petites villes qu’aux grandes », reconnaît Dijon. « Car plus la collectivité est grosse, plus il est difficile de casser ce fonctionnement en silos. » La smart city à la dijonnaise devrait connaître sa première émulation à partir de septembre : Angers annoncera alors le consortium retenu pour construire une smart city de même envergure.
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