« Il faut donner aux enfants le pouvoir sur la technologie et la capacité d’apprendre à apprendre ». C’est l’une des convictions de Claude Terrosier, fondatrice de Magic Makers, qui nous reçoit dans l’espace de coworking où elle a pris l’habitude de travailler, à Neuilly-sur-Seine, à deux pas des tours de la Défense. Doucement mais fermement, les yeux plantés dans les vôtres, elle s’explique : « On est à une époque charnière où la technologie permet de résoudre plein de problèmes, mais où elle permet aussi d’asservir les autres. Il est important de comprendre ce qu’il se passe pour exercer son discernement et il faut savoir garder la technologie uniquement pour ce qu’elle apporte à l’homme… Plus on est nombreux à le comprendre et mieux l’on se porte, parce qu’aujourd’hui, insiste-t-elle, le pouvoir est aux mains de très peu de monde ».
Ingénieure de formation, diplômée de Télécom ParisTech, Claude Terosier a passé quinze ans à travailler dans le secteur des télécoms. C’est en visionnant un film diffusé aux quinze ans de sa promotion, en 2012, qu’elle a le déclic. Il revient sur la révolution internet et sur ce qu’il s’est passé depuis : « Là, raconte-t-elle, je prends conscience que tout ce qu’on a vécu (arrivée des ordinateurs, premières adresses mail, émergence des moteurs de recherche…) est allé hyper vite et que cela va continuer comme ça ». Convaincue que désormais, « tout le monde doit pouvoir comprendre ce qu’il se passe », elle cherche à inscrire son fils de huit ans à un cours d’informatique pour enfants, à Paris, mais elle ne trouve rien.
Une mission d’empowerment
Persuadée qu’il s’agit pourtant d’un « besoin de société fondamental », Claude Terosier imagine Magic Makers et elle s’engage dans « une mission d’empowerment ». Mais la décision de quitter son poste de salariée chez SFR pour l’entrepreneuriat n’est pas facile à prendre pour cette mère de deux enfants, presque quarantenaire. Elle pèse le pour et le contre et elle fait même « des fiches techniques », pour évaluer les conséquences d’une telle prise de risque sur les finances de la famille. La stabilité de la situation de son mari – qui travaille aussi dans les télécoms – l’aide à sauter le pas et elle saisit l’occasion d’un plan de départs.
La méthode pour apprendre le code aux enfants n’existant pas, il faut l’inventer. Claude Terosier déniche alors « Scratch », un outil inventé par le MIT* pour initier les élèves dès l’âge de 8 ans aux mathématiques et à l’informatique. Elle s’y forme, puis elle teste sa propre méthode – inspirée des travaux du MIT et de la pédagogie Montessori- dans l’école de ses enfants, avec des ateliers dont elle fait la publicité auprès des parents du quartier. Parallèlement, elle monte un focus clients et elle intègre un incubateur, où elle rencontre un autre entrepreneur, avec qui elle décide de lancer le projet. Ils ne s’entendront que quelques mois. Et un an après avoir quitté SFR, elle ouvre le premier centre Magic Makers.
Plus on se forme tôt, mieux c’est
Aujourd’hui, il y en a une trentaine, en Île-de-France et à Bordeaux. 1 600 enfants, âgés de 8 à 15 ans, sont inscrits pour cette année, et trois fois plus pour des stages. Ils y apprennent les bases de l’informatique et du code de façon ludique, active et collaborative. Une autre des « convictions » de Claude Terosier, c’est que l’informatique, tel qu’elle l’a appris à l’âge de vingt ans, « ça fait peur ». « Vingt ans, c’est trop tard, juge-t-elle. C’est comme pour la musique ou les langues, plus on se forme tôt et mieux c’est ». Cinq ans après le lancement de Magic Makers, elle estime avoir touché 15 000 enfants. Elle se dit fière, surtout « d’être partie d’une feuille blanche, d’avoir créé des emplois et d’aider les jeunes ». La société compte une vingtaine de salariés et fait travailler quatre-vingt animateurs pendant les stages.
Quand elle n’est pas dans les centres Magic Makers, Claude Terosier travaille dans son espace de coworking ou chez elle. Elle passe une grande partie de son temps à « évangéliser » sur les bienfaits d’apprendre l’informatique le plus tôt possible. Elle est également très investie et très sollicitée aussi, sur tout ce qui touche l’entrepreneuriat au féminin. « Il faut dire que je cumule, dit-elle ironiquement : il n’y a pas beaucoup de femmes dans la tech, ni dans l’entrepreneuriat » ! Les statistiques donnent seulement 10% de femmes dans les métiers scientifiques. Estimant qu’elle n’en a pas souffert à titre personnel et qu’elle en a plutôt fait une force, elle décide néanmoins de faire de ce sujet « un vrai cheval de bataille ».
Exemplarité
« La chose à laquelle je crois le plus, martèle-t-elle, c’est l’exemplarité ». Alors, elle multiplie les prises de parole, les tables rondes et les conférences pour montrer qu’il est tout à fait possible d’être une femme, mère de famille, et entrepreneuse. Il y a un an, Magic Makers a levé 3 millions d’euros auprès notamment d’Educapital, le fonds de Marie-Christine Levet et d’Alter Equity, fondé par Fanny Picard. Pour Claude Terosier, « ce n’est d’ailleurs pas un hasard », si ces femmes ont investi dans sa société.
« Au-delà de son rôle pionnier chez Magic Makers, témoigne Fanny Picard, Claude Terosier combat sans relâche pour que les femmes aient une place plus importante dans la tech ». La patronne d’Alter Equity, se dit notamment impressionnée par « la profondeur » de Claude Terosier, qui « va jusqu’au bout des raisonnements et qui s’attache à être à la pointe des sciences cognitives et de toutes les innovations, dont elle est fan ». Pour l’actuel directeur de Telecom-Paristech, Yves Poilane, qui la connaît depuis une dizaine d’années et qui lui a ouvert les portes de son établissement pour ses ateliers, « c’est grâce à des femmes comme Claude Terosier qu’on arrivera a en entraîner d’autres ». Il souligne aussi ses « valeurs humanistes », son côté « chaleureux » et « altruiste », quand Felix Mounier, directeur d’investissements chez Alter Equity, insiste sur le caractère « passionné et profondément engagé » de la fondatrice de Magic Makers.
À force de travail et d’engagement, Claude Terosier s’est taillé une place dans cet univers de la tech. Elle s’amuse d’avoir gagné en « street cred », (en « crédibilité de la rue »), comme disent ses enfants. Elle ambitionne d’implanter ses ateliers dans de plus en plus d’écoles, partout en France. « Elle se bat pour démocratiser l’apprentissage du code, mais c’est compliqué », témoigne Marie-Christine Levet, qui a investi dans Magic Makers, justement, pour l’« aider à se développer beaucoup plus ». Cinq ans après s’être lancée, en tous cas, Claude Terosier ne regrette rien et elle poursuit sa mission d’« empowerment », convaincue que « demain, on apprendra le code comme on apprend l’anglais ».
* Massachusetts Institute of Technology
http://bit.ly/2JIW9Xz
via BFM BUSINESS http://bit.ly/2K9qMVo