L’avantage avec la révolution numérique, c’est qu’il existe une boule de cristal annonciatrice des futures tendances pour nous, Européens qui s’appelle la Silicon Valley. Or, depuis quelques mois, le message qu’envoie l’eldorado américain de la tech est très clair : la « constructech » s’annonce comme la prochaine vague disruptive ! Pour la France, qui tient avec Vinci, Bouygues et Eiffage trois des plus grands groupes mondiaux du BTP, la nouvelle est d’importance. Après la transformation de secteurs tels que la presse, la musique ou encore le commerce, c’est l’ossature de l’économie « brick and mortar » qui est touchée cette fois avec la construction, un secteur qui représente à lui seul environ 14% de l’activité marchande en France (1) et plus de 1,3 million d’emplois.
La révolution est d’abord dans les chiffres. Le financement de la constructech a bondi de 324% aux Etats-Unis en 2018 (2), passant de 731 millions en 2017 à 3,1 milliards de dollars l’an dernier. Une croissance marquée par deux méga-levées de fonds menées par de jeunes pousses : l’augmentation de capital de 865 millions effectuée par Katerra et celle de 1,1 milliard du spécialiste des vitrages View.
La première, créée en 2015 au cœur de la Silicon Valley, n’ambitionne rien moins que de révolutionner l’ensemble de la chaîne de valeur du BTP grâce à un modèle totalement intégré et digitalisé, de la production des matériaux à la construction, en passant par l’architecture et l’ingénierie. Une vision qui s’appuie sur l’idée que le logiciel permet désormais de modifier en profondeur des techniques comme celles de la construction, particulièrement complexes et qui ont longtemps paru hors de portée des start-uppers. La firme américano-canadienne View révolutionne, quant à elle, le vitrage, en proposant des façades intelligentes qui s’adaptent à la luminosité extérieure pour améliorer le confort à l’intérieur.
Nouveau entrants. Le phénomène est également perceptible au niveau du financement early stage qui est le créneau de Newfund à Palo Alto : 20% des nouvelles opportunités que nous analysons sont aujourd’hui liés à la constructech, soit un quasi-doublement en un an. Par comparaison, la fintech représente à peine 10% de notre deal flow.
La constructech se distingue de la « proptech » qui émerge depuis quelques années en Europe, avec ses casques de réalité virtuelle pour visualiser les appartements ou ses agents immobiliers en ligne. La proptech s’est attaquée à la commercialisation où il y avait, certes, encore de la valeur à créer, mais probablement beaucoup moins que dans la construction qui est le cœur du BTP. Une comparaison équivalente, dans le secteur de la mobilité, serait entre la trottinette électrique qui envahit nos trottoirs et Tesla qui transforme l’ensemble de l’offre automobile et en partie le marché de l’électricité.
Les récents exemples américains montrent que c’est toute la chaîne de valeur qui va être « remoulinée » avec la montée en puissance du logiciel dans la construction : de la cartographie digitale des bâtiments à l’organisation du travail ou le développement de nouveaux matériaux. La constructech va ouvrir ce monde un peu fermé à de nouveaux entrants et représente une opportunité formidable pour l’innovation et les entrepreneurs. C’est aussi un défi pour les champions français de la construction, dont les positions pourront être fragilisées à l’avenir. Au moins sont-ils prévenus : la prochaine vague numérique est toute proche des côtes.
1 Source : Capeb
2 Source : CrunchBase
François Véron est cofondateur du fonds d’investissement Newfund
http://bit.ly/2XZfHdL
via L’Opinion http://bit.ly/2XpLDuH